FRENCH Writing: Pénétration. @eludelalune
Pénétration
Le 26 mai 2014
Ça devait faire trois jours que je n'avais pas vu le soleil mais maintenant c'était clair, j'étais devenu le maître. Je devais me prouver à moi-même que j'étais capable de pénétrer le réseau le plus sécurisé de la planète.
En quelques heures, j'avais réussi à entrer là où personne n'entrait jamais et j'avais pris le contrôle total du serveur tout en restant invisible dans le système. Les minutes passaient mais je savais déjà que je n'avais pas été détecté et que je n'avais pas laissé de trace.
Je ne laissais plus de traces. Pas une. Niet. Zéro.
Et ç'aurait pu être un exploit tout à fait ordinaire si je m'étais introduit dans n'importe lequel des milliers de serveurs haute-sécurité standard qui comportaient toujours plusieurs failles dangereusement exploitables, mais j'avais choisi le seul serveur qui n'avait pas de faille, soit le serveur de la police fédérale et des services secrets. J'avais été brillant et ç'aurait dû me suffire pour être heureux. Je n'avais jamais été aussi fier de moi, sur le coup, mais je ne m'étais encore jamais demandé ce que je ferais après et je me mis à avoir l'impression que j'étais assis devant cet ordinateur depuis l'éternité.
Une éternité qui m'avait éloignée du vrai monde, le monde réel.
La photo de Maya sur le fond d'écran de la machine me ramenait elle aussi au vrai monde. Ce monde dans lequel je suis éperduement amoureux de cette magnifique créature divine. Ce monde dans lequel nous sommes tous, Maya, moi, et tout le monde, mais dans lequel je n'arrive pas à trouver la combinaison de son coeur.
Ce monde dans lequel malheureusement quelquechose m'avait échappé.
J'avais beau pénétrer et prendre le contrôle de tous les systèmes informatiques de cette foutue planète, je ne trouverais pas le bonheur tant que je ne pénètrerais pas celui de Maya.
C'est en me levant debout que je réalisai que mon acharnement inhumain et mon inquantifiable obsession à contrôler le monde virtuel était loin d'être seulement une victoire. J'étais étourdi et mon dos craquait comme le plancher du grenier en plein hiver. Les quelques pas m'ayant permis d'atteindre le lavabo me paraissaient plus difficiles à faire que tous mes exploits informatiques des dix dernières années. Je n'aurais pas eu besoin du miroir de la salle de bain pour confirmer: le fait de contempler les ravages causés par un grave manque de sommeil m'anéantissais davantage.
J'étais devenu une loque. Un véritable zombie.
Je me rendis à mon lit en rampant, et sans même prendre le temps de fermer la lampe, je m'écroulai et m'endormis en pleurant les larmes les plus chaudes et les plus salées du monde. Ce fut la nuit la plus pénible de toute mon existence. Je ne peux pas savoir ce que le pire drogué de la planète peut ressentir quand il n'a pas sa dose, mais je suis presque sûr que c'était pire. J'entendais en boucle l'écho de ce que m'avait dit Maya le jour où elle a refusée les roses que j'avais achetées pour elle:
«Je t'adore. Tu es tellement gentil! Toutefois je ne ressens pas la même chose que toi! Tu es un gars génial mais...»
Ces mots qui m'avaient transpercés le coeur étaient revenus me hanter pour faire exploser ma tête! J'ai passé la nuit entière en sueurs dans un état semi-conscient à me tortiller dans tous les sens. L'image et les paroles de Maya tourbillonnaient de plus en plus vite dans ma tête et me donnaient la pire nausée du monde. Avais-je attrapé la nausée de l'univers? Plus ça allait, plus ça devenait irréel. Les paroles de Maya n'étaient que le fruit de mon imagination, ou de celle d'un démon quelconque qui doit me vouloir beaucoup de mal. J'avais déjà tout tenté pour faire craquer Maya, mais cette équation devait être la chose le plus absurde que mon ne s'était jamais imaginé et si je n'avais pas tout fait pour pénétrer le coeur de cette femme j'aurais commencé à penser que je devenais fou, ce qui est peu probable, car dans ma tête de programmeur; la folie n'existe pas. Il n'y a que des problèmes et des solutions, des fonctions et des valeurs et/ou des non-valeurs. Quand on sait, on peut toujours résoudre ce qui ne va pas.
Par contre, on ne peut résoudre ce qu'on ne voit pas.
Je commençais à reprendre mes esprits. J'ai senti mon coeur s'ouvrir et je m'endormis soudainement en flottant dans un nuage de pensées trop intense pour que je puisse le décrire ni même partiellement le comprendre. Je m'abandonnais à mon sommeil et ma souffrance disparaissait à mesure que je sentais mon coeur s'alléger. Ma lampe de nuit s'était fermée et je suis presque certain de ne pas être sorti de mon lit.
Je fermai les yeux.
Le 27 mai 2014
Contrairement à mes attentes, je me suis réveillé aussi doucement que le soleil. Comme chaque début de journée, je ressentais un grand vide mais celui-là était complètement différent. Je ne m'étais jamais senti aussi vivant et léger en même temps. Plusieurs fois dans ma vie j'ai imaginé très fort être le surhomme; ce matin je devais l'être pour vrai. J'enfilai mes chaussures et sorti en trombe. Direction chez Maya. Pour lui parler. Cette décision spontanée d'une témérité rarissime avait les apparences d'un élan de folie. Je marchais en m'essclaffant et je titubais tellement je me sentais léger (lire: hors de contrôle). J'arrivai rapidement chez elle, qui malgré un regard réticent, accepter de discuter sous le soleil brillant. Ce moment de ma vie fut tellement éprouvant qu'il m'est impossible de le revoir dans ma tête. Nous avons discuté toute la journée et elle m'a invitée à entrer chez elle pour dormir en cuillère. J'étais là, avec Maya. J'avais maintenant tout ce que je voulais! Je pouvais maintenant savourer la victoire d'avoir pénétrer à la fois le serveur informatique le plus puissant du monde et le coeur de Maya!
Je ne pourrai sûrement jamais m'expliquer ce qui s'est réellement passé entre aujourd'hui et la nuit dernière, mais j'ai compris comment j'avais fait pour résoudre mon équation. Je n'ai pas tenté de pénétrer Maya.
Cette fois, j'ai ouvert mon coeur et...
je l'ai laissée doucement y pénétrer.
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